PRISE EN CHARGE GLOBALE PLURIDISCIPLINAIRE DU MALADE

ATTEINT DE POLYARTHRITE RHUMATOÏDE

 

Professeur Jacques SANY, Hôpital Lapeyronie, Service d'Immuno-Rhumatologie, Montpellier

Il faut mettre en œuvre tous les moyens possibles pour traiter aussi précocement que possible la polyarthrite rhumatoïde (PR). Cela sous-entend un diagnostic précoce qui est difficile à cause de l'hétérogénéité clinique de cette maladie et aussi une excellente coordination de la stratégie thérapeutique. Le traitement vise à conserver la fonction articulaire, à éviter dans la mesure du possible les déformations et surtout à maintenir l'autonomie et l'insertion socioprofessionnelle du patient. L'approche thérapeutique doit être modulée en fonction du mode de présentation de la maladie, des facteurs de pronostic dont on dispose et du stade évolutif. Bien que d'importants progrès aient été réalisés depuis quelques années, les résultats du traitement s'avèrent parfois encore décevants. La prise en charge globale pluridisciplinaire du malade atteint de PR occupe une place majeure, surtout dans les formes sévères.

Il s'agit en pratique d'une véritable stratégie thérapeutique élaborée par une équipe soignante pluridisciplinaire réunissant rhumatologue, médecin de réadaptation fonctionnelle, médecin généraliste, chirurgien orthopédiste, psychiatre, kinésithérapeute, ergothérapeute, infirmière, assistante sociale, psychologue, diététicienne, orthésistes et podologues au service du malade et ceci dans le cadre d'une prise en charge globale. Le patient se situe donc au centre d'un système constitué par l'ensemble des soignants, la prise en charge se déroulant sur un site unique.

Déjà pratiqué depuis longtemps à Montpellier, la prise en charge multidisciplinaire du malade atteint de PR est réalisée dans le service d'immuno-rhumatologie de façon routinière depuis 1979. L'équipe regroupe cinq rhumatologues, un chirurgien orthopédiste, deux médecins neuro-psychiatres, deux ergothérapeutes, cinq kinésithérapeutes, trois infirmières, une assistante sociale et trois podologues. Chaque élément de l'équipe, grâce à sa fonction et sa spécificité, apporte sa compétence au service du malade ceci dans le cadre d'actions concertées et coordonnées. La prise en charge est toujours individuelle, adaptée à chaque cas et à chaque stade évolutif. C'est une véritable prise en charge " à la carte ".

Le malade fait l'objet, lors de son accueil, d'une évaluation qui permet d'élaborer la stratégie de la prise en charge. Cette évaluation comporte non seulement des données médicales sur l'activité de la PR et ses conséquences personnelles socio-familiales et professionnelles, mais aussi un questionnaire de connaissances sur la maladie. Le patient remplit également des indices de qualité de vie (HAQ et EMIR court). Questionnaire et indices de qualité de vie seront proposés au patient à intervalles fixes ultérieurement, pour apprécier l'effet à moyen et long terme de la prise en charge globale.

La prise en charge globale a lieu soit dans le cadre de soins externes ou de consultations, soit d'hospitalisations de jour ou d'hospitalisations classiques. En général, pour des raisons économiques, on profite d'une hospitalisation ou d'une consultation pour une mise au point thérapeutique par exemple pour réaliser cette prise en charge dont la durée varie selon les besoins du patient.

Cette prise en charge globale, pluridisciplinaire, assure l'information du malade, le soutien médico-psychologique, fixe les grandes lignes du traitement médicamenteux, programme et assure la réadaptation fonctionnelle et, si cela est nécessaire, propose une consultation médico-chirurgicale. Elle est entièrement regroupée sur un seul site réunissant autour du malade les différents intervenants.

L'information du malade :

Elle est essentielle et trop souvent négligée. Chaque membre de l'équipe soignante y participe selon ses compétences. Cette information permet de démystifier et de dédramatiser la maladie en montrant au patient qu'il est possible de faire quelque chose. L'information est conduite de façon positive, dynamique, en expliquant au patient que la partie n'est pas perdue d'avance et qu'il y a de nombreuses possibilités thérapeutiques. On expose au patient les différents moyens thérapeutiques, les médicaments, les problèmes qu'ils posent, leurs éventuels effets secondaires, leur surveillance. On conseille également des petits " trucs " permettant d'améliorer la qualité de la vie : douches chaudes le matin pour diminuer la raideur, prévention d'un flexum du genou. En fait, chaque membre de l'équipe soignante, chacun dans son domaine, informe le patient et ces informations cohérentes et coordonnées finissent par être complémentaires. Il faut absolument éviter les interdits. L'activité professionnelle est poursuivie aussi longtemps que possible.

Outre l'information réalisée à titre individuel par chacun des membres de l'équipe soignante, il y a aussi l'information diffusée par les diverses brochures et les cassettes vidéo (par exemple cassette vidéo distribuée par l'ANDAR sur la " polyarthrite au quotidien "). Les associations de malades jouent ici un rôle important. En effet elles éditent des brochures et des bulletins d'information pluriannuels. Elles organisent également des réunions rassemblant malades, médecins et paramédicaux au cours desquelles ont lieu des échanges fructueux.

Prise en charge médico-psychologique :

Elle est capitale dans cette maladie. Soutenir le moral des malades et de leur entourage permet de les aider à se battre efficacement contre cette affection invalidante. Des entretiens avec les psychiatres sont réalisés systématiquement sous forme de consultations médico-psychologiques. Ils permettent de mieux appréhender les problèmes personnels du patient et de mieux comprendre son vécu de la maladie. Ces entretiens, réalisés depuis plus de dix ans dans le service, outre l'aide qu'ils apportent au patient, donnent à l'équipe soignante des éléments particulièrement intéressants. En effet, cette approche psychologique permet à l'ensemble de l'équipe soignante de se réunir une fois par semaine autour du psychiatre pour une réunion de synthèse. La biographie du malade, certains événements de vie sont mis à jour, permettant à chacun des soignants de mieux réagir et de mieux gérer les soins. Cela permet une réponse personnalisée pour chaque patient et une meilleure organisation de la prise en charge. D'une façon générale, les entretiens sont presque toujours acceptés par le patient sans difficultés, ce qui n'était pas le cas lorsque cette procédure a été mise en place il y a dix ans. Dans certains cas mais rarement, les entretiens médico-psychologiques répétés sont nécessaires et parfois même une psychothérapie de soutien.

Prise en charge médicamenteuse :

Bien entendu, la prise en charge globale comporte aussi la mise en place des thérapeutiques médicamenteuses et des traitements locaux (infiltrations de corticoïdes, ponctions évacuatrices, synoviorthèses, synovectomies sous contrôle arthroscopique) qui sont réalisés au cours de brefs séjours hospitaliers à l'occasion desquels la prise en charge globale est réalisée.

Réadaptation fonctionnelle :

Elle est intégrée à tous les stades de la maladie et peut être constamment modulée en fonction de l'évolution. Toujours personnalisée, elle est réalisée dans le cadre de l'équipe soignante, plus particulièrement par les kinésithérapeutes et ergothérapeutes spécialisés. Elle comporte plusieurs aspects.

L'appareillage joue un rôle important dans la prévention et parfois la correction des déformations. Les appareillages de repos sont prescrits de façon pratiquement systématique, notamment pour les mains. Il est parfois possible de confectionner des appareillages de travail. Dans certains cas, des aides de marche sont nécessaires mais doivent être utilisées avec parcimonie car il y a un risque de décompenser les membres supérieurs. Ces aides de marche peuvent être confectionnées sur mesure, éventuellement en carbone, en fonction de chaque cas particulier. Les orthèses plantaires sont utiles et sont réalisées dans le service par les podologues. Malheureusement, elles n'évitent pas toujours la déformation de l'avant-pied rhumatoïde au fil des années. Lorsque les lésions des pieds sont majeures et non opérables, un chaussage particulier peut être effectué. C'est là l'intérêt des consultations de " chaussage spécialisé polyarthrite rhumatoïde " qui associent, dans le service d'Immuno-Rhumatologie, un podo-orthésiste et un rhumatologue. On peut aujourd'hui " habiller " le pied et concilier efficacité et esthétique.

L'éducation du patient est essentielle : on conseille le maintien d'une vie aussi normale que possible et on réduit au minimum les interdits. Le patient bénéficie d'une véritable éducation gestuelle, c'est à dire apprend la bonne utilisation articulaire à partir d'exemples concrets de la vie quotidienne. On lui enseigne les postures évitant les attitudes vicieuses et les techniques luttant contre l'enraidissement articulaire. Ceci peut être réalisé grâce à une mise en situation dans l'appartement thérapeutique, ce qui permet d'évaluer les capacités fonctionnelles du patient dans la vie courante. Des aides techniques sont parfois proposées mais leur utilisation est très parcimonieuse et réservée avant tout aux polyarthrites anciennes et non améliorables par une réadaptation appropriée. En cas de manque de force, certaines aides techniques simples comme l'ouvre-robinet ou l'ouvre-cocotte-minute, par exemple, sont utiles. Par contre les aides techniques qui compensent totalement les fonctions articulaires ne doivent jamais être proposées précocement car elles facilitent l'enraidissement articulaire définitif.

La rééducation de la PR est une rééducation avant tout globale visant à rétablir une fonction. Pratiquement toujours indiquée, elle peut être facilitée par la balnéothérapie et des agents physiques comme la fangothérapie, le froid ou la paraffine pour les mains. Il est souhaitable que les patients bénéficient, au terme de leur stage de prise en charge globale, d'une véritable ordonnance personnalisée de rééducation pour le retour au domicile.

Traitement chirurgical :

Le traitement chirurgical fait partie intégrante de la prise en charge de la PR. Plus d'un tiers des patients est opéré en moyenne trois fois. Les indications chirurgicales sont discutées au cours de consultations médico-chirurgicales réunissant, au sein du service, chirurgien orthopédiste, rhumatologue et malades. Il s'agit d'une chirurgie fonctionnelle visant à rétablir une fonction défaillante et apportant l'indolence. Cette chirurgie nécessite toujours une équipe soignante cohérente avant, pendant et après l'opération. La rééducation doit être particulièrement attentive, surtout dans les suites opératoires, pour garantir autant que faire se peut un résultat satisfaisant.

La prise en charge d'un malade atteint de PR est souvent difficile et complexe. Soigner une PR ne consiste pas uniquement à renouveler une ordonnance ou à prescrire un nouveau médicament. Il faut être particulièrement attentif à la demande du malade qui est avant tout une demande d'écoute et essayer d'y répondre au mieux dans le cadre d'une structure aussi conviviale que possible. La prise en charge globale, sans prétendre régler tous les problèmes, apporte des éléments qui sont, d'après les patients, jugés satisfaisants. Les membres de l'équipe soignante ont également une opinion positive de ce type de prise en charge regroupée sur un seul site. A noter que, au-delà du service donné au patient, cette modalité de fonctionnement renforce très fortement la cohésion et la motivation de l'équipe soignante. Bien entendu, il faut évaluer l'efficacité objective de cette prise en charge globale, notamment sur l'évolution de la maladie et en apprécier le coût. A en juger par le succès remporté par la formation à la prise en charge globale du malade atteint de PR destinée aux paramédicaux que nous avons mise en place depuis quatre ans (65 personnes formées : 17 kinésithérapeutes et cadres kinésithérapeutes, 8 ergothérapeutes, 38 infirmières et cadres infirmiers, 2 aides-soignants), cette stratégie thérapeutique semble intéresser de nombreuses équipes en France et on ne peut que s'en réjouir.